![]() |
Image d'illustration |
La nomination surprise de François Bayrou au poste de Premier ministre avait déjà suscité de vives réactions. Présenté comme un « sage », un « centriste de la réconciliation », l’homme qui se rêvait président devient le visage d’un gouvernement en quête d’autorité morale. Mais très vite, les masques tombent.
Sa première grande annonce, la proposition d’un budget qualifié de « rigoureux mais juste », provoque un tollé. Et pour cause : dans un pays déjà meurtri par l’inflation, les inégalités et une succession de réformes antisociales, Bayrou propose ni plus ni moins que de supprimer deux jours fériés. Une décision qui sonne comme une gifle pour les Français. Une insulte à leur histoire, à leur équilibre de vie, et à leur dignité.
Mais faut-il prendre cette mesure au premier degré ? Ou bien s’agit-il d’une stratégie calculée, une manœuvre politique destinée à faire diversion ou à simuler une concession lors des débats à l’Assemblée nationale ? Tout porte à croire que nous ne sommes pas seulement face à une erreur d’appréciation ou à une maladresse politique, mais bien à une mise en scène cynique. Une sorte de théâtre budgétaire où l’on brandit une mesure choquante pour mieux en sacrifier d’autres dans l’ombre, tout en donnant l’illusion d’un recul.
Depuis quand gouverne-t-on par provocation ? Depuis quand la négociation sociale commence-t-elle par des humiliations ? En choisissant de remettre en cause deux jours fériés — des repères culturels, sociaux et économiques profonds — Bayrou semble vouloir tester les limites de l’acceptabilité populaire. Il se dresse en champion du « courage politique », alors qu’il ne fait que reproduire les logiques d’austérité imposées depuis des décennies par Bruxelles et les grands argentiers.
Car soyons clairs : ce budget n’est ni courageux ni équitable. Il est dans la droite ligne de toutes les politiques néolibérales qui frappent toujours les mêmes. Bayrou parle de rigueur, mais ce sont les classes moyennes et populaires qui vont trinquer. Les plus riches, eux, peuvent dormir tranquilles. Le projet de loi de finances ne prévoit aucune remise en cause des niches fiscales les plus injustes, aucun impôt exceptionnel sur les superprofits, aucune taxation sérieuse des dividendes. On parle d’efforts, mais ce sont toujours les plus faibles qu’on met à contribution.
Supprimer deux jours fériés revient à voler du temps aux travailleurs. Ce n’est pas un détail anodin. C’est un geste profondément symbolique : faire payer à celles et ceux qui tiennent ce pays debout les errances budgétaires des élites. Les jours fériés sont des respirations dans un rythme de travail toujours plus intense. Ils sont aussi des repères sociaux, souvent liés à des traditions populaires ou religieuses. Les supprimer, c’est nier cette dimension collective du temps, c’est marchandiser encore un peu plus nos vies.
Et pendant ce temps, les dépenses de l’État dans les domaines militaires, sécuritaires et numériques explosent. On nous parle de réduction des déficits, mais on continue de dilapider des milliards dans des contrats juteux pour les industriels de l’armement ou les cabinets de conseil. La lutte contre l’évasion fiscale reste au point mort. L’impôt sur la fortune ne revient toujours pas. Et les grands groupes continuent de bénéficier d’exonérations massives sans aucune contrepartie.
Alors, oui, on peut se demander si cette histoire de jours fériés n’est pas une diversion. Une manière de jeter un os à ronger à l’opinion publique, pour ensuite retirer cette mesure « en geste d’ouverture », tout en conservant le cœur de la machine : la baisse des dépenses publiques, la casse des services essentiels, la destruction des protections sociales. Cette technique est bien connue. On appelle cela la fenêtre d’Overton : on lance une proposition choquante, on crée une indignation, puis on recule... pour faire accepter le reste sans trop de contestation.
C’est une forme de manipulation qui a fait ses preuves. Et Bayrou, en vieux briscard de la politique, ne peut pas ignorer ce mécanisme. Il s’en sert sans vergogne, jouant au pompier pyromane. Il crée la crise pour mieux en apparaître comme le gestionnaire responsable. Mais il ne faut pas se laisser prendre à ce jeu. Le problème n’est pas seulement cette histoire de jours fériés. Le problème, c’est l’ensemble de la logique budgétaire qu’il propose.
Car derrière les discours sur la « responsabilité », ce sont des hôpitaux qui ferment, des classes qui sont supprimées, des tribunaux engorgés, des services sociaux à l’agonie. C’est une fonction publique pressurée jusqu’à l’os, des territoires abandonnés, des familles qui n’arrivent plus à vivre dignement. Ce sont les associations, les structures de proximité, les médiateurs, les éducateurs, les soignants, qui se battent au quotidien avec des bouts de ficelle.
Et pourtant, d’autres choix sont possibles. Il suffirait de cesser de considérer les dépenses publiques comme un fardeau, et de les voir pour ce qu’elles sont : des investissements dans le bien commun. Il suffirait d’instaurer une fiscalité réellement progressive, de lutter sérieusement contre la fraude fiscale, de taxer les géants du numérique, de conditionner les aides aux entreprises à des objectifs sociaux et environnementaux.
Mais cela, François Bayrou n’en parle pas. Il préfère sacrifier les jours de repos des travailleurs plutôt que de toucher aux intérêts de ses amis du CAC40. Il préfère répéter les mantras de la rigueur plutôt que d’imaginer une autre répartition des richesses. Il préfère gouverner comme si nous étions en 1995, alors que le monde de 2025 exige des réponses nouvelles.
Cette proposition de budget, si elle est maintenue, sera une déclaration de guerre sociale. Une provocation à l’encontre de toutes celles et ceux qui espéraient un changement de cap, une transition juste, une gouvernance à l’écoute du peuple. Elle sera la confirmation que le centre, loin d’être modéré, est aujourd’hui l’habillage élégant de politiques profondément brutales.
Il est urgent de se mobiliser. Pas seulement contre la suppression des jours fériés, mais contre l’ensemble du projet que cette mesure symbolise : un projet de régression, de marchandisation du temps, de déconstruction du pacte social. Il faut dire non à cette logique d’austérité permanente, non à cette mise en scène cynique des sacrifices consentis. Il faut exiger un véritable débat sur la justice fiscale, sur la répartition du travail, sur la qualité de nos services publics.
François Bayrou voulait marquer les esprits avec son retour. Il l’a fait. Mais pas comme il l’imaginait. Car en s’attaquant à ce que les Français ont de plus précieux — leur temps, leur dignité, leur mémoire collective — il a déclenché une colère qui ne s’éteindra pas de sitôt. Cette fois, le « geste » politique ne suffira pas à calmer l’indignation. Cette fois, la parole populaire ne se contentera pas d’être spectatrice : elle entend redevenir actrice de son destin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire