Alors que le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté vote une subvention à Médecins sans Frontières pour Gaza, Gilles Platret dénonce une supposée dérive idéologique de l’ONG. Sous couvert de neutralité, son courrier révèle une tentative inquiétante de politisation de l’aide humanitaire.
Pourquoi s’attaquer à l’humanitaire ? Quand la droite radicale cible Médecins sans Frontières
Il y a des lettres politiques qui en disent plus que des discours entiers. Celle que Gilles Platret, conseiller régional et maire de Chalon-sur-Saône, a adressée au préfet de région le 27 juin 2025 est de celles-là. Derrière une apparente défense de la légalité institutionnelle et des engagements internationaux de la France, ce courrier est un acte d’accusation déguisé, ciblant Médecins sans Frontières, une organisation humanitaire mondialement reconnue. Il accuse cette ONG d’être politiquement biaisée, complaisante envers le Hamas, et demande au représentant de l’État de s’opposer à une subvention régionale de 100 000 € votée par le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Mais sous l’encre de la rigueur administrative perce une volonté plus sombre : celle de délégitimer l’action humanitaire dans les territoires palestiniens au nom d’une lecture idéologique des conflits, au mépris de l’universalité des droits humains.
L’attaque ne se veut pas frontale mais insidieuse. Gilles Platret convoque des éléments polémiques, tirés de rapports anciens, de déclarations isolées, de biographies personnelles pour brosser un tableau tendancieux d’une ONG prétendument compromise avec une organisation terroriste. Il cite Alain Destexhe, ancien secrétaire général de MSF, qui dans un rapport datant de décembre 2023 évoque des prises de position pro-Hamas de certains employés. Il mentionne aussi Richard Rossin, cofondateur de Médecins du Monde, et ses critiques sur l’évolution de MSF. Il va jusqu’à reprocher à l’association d’avoir relayé une information erronée sur l’hôpital Al-Ahli à Gaza, alors même que la confusion sur cette attaque a été largement partagée dans les heures qui ont suivi l’événement, avant que des clarifications ne soient apportées.
Mais c’est sur le terrain politique que la charge devient la plus révélatrice. Platret s’en prend à Rima Hassan, militante pro-palestinienne et députée européenne, pour avoir siégé au conseil d’administration de MSF en 2021 et 2022. Il affirme que sa présence seule entacherait la neutralité de l’association, évoquant son activisme et sa participation à des manifestations. Le raisonnement est simple : toute proximité, même ancienne, avec une personne critique de la politique israélienne suffit à disqualifier une organisation entière. Ce procédé de disqualification par association est dangereux. Il ne vise pas à éclairer le débat, mais à instiller le doute, à semer la suspicion, et à entretenir l’idée que l’aide à Gaza est en soi une prise de position idéologique.
Le fond de l’affaire, pourtant, est ailleurs. Ce que Gilles Platret conteste, ce n’est pas seulement une subvention de 100 000 €. C’est la légitimité même de l’action humanitaire dans les territoires palestiniens. C’est l’idée que l’on puisse, en France, exprimer une solidarité concrète avec les civils victimes de la guerre à Gaza, sans être taxé de complaisance envers le Hamas. C’est la possibilité pour des collectivités locales de s’engager dans des actions de coopération internationale, conformément au droit, sans que cela ne soit relu à travers un prisme géopolitique biaisé. Il reproche ainsi à l’amendement voté par la région de mentionner les bombardements israéliens comme cause de la catastrophe humanitaire actuelle. Or, ces faits sont documentés par l’ONU, par les journalistes, par les rapports d’Amnesty International et de nombreuses ONG. Les nier ou les rendre indicibles revient à participer à une forme de révisionnisme humanitaire.
Cette attaque contre MSF n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une tendance inquiétante : celle qui consiste à politiser l’aide d’urgence, à conditionner la compassion à des critères de loyauté idéologique. Depuis plusieurs années, certaines figures politiques de droite et d’extrême droite cherchent à imposer une lecture manichéenne des conflits internationaux, dans laquelle toute aide aux Palestiniens devient suspecte, où toute critique d’Israël est assimilée à une prise de position radicale. Cette dérive est d’autant plus grave qu’elle s’infiltre jusque dans les arènes locales, comme le montre cette tentative de pression sur le préfet. En demandant à ce dernier de s’opposer à une décision votée démocratiquement par l’assemblée régionale, Gilles Platret s’attaque non seulement à MSF, mais aussi à l’autonomie des institutions et au principe de libre administration des collectivités territoriales.
Sur le plan juridique, ses arguments sont fragiles. La subvention votée s’inscrit dans le cadre de l’article L1115-1 du Code général des collectivités territoriales, qui autorise les régions à participer à l’aide internationale, dans le respect des engagements de la France. Aucun de ces engagements n’interdit de venir en aide aux civils de Gaza. Aucun ne contraint à un silence diplomatique sur les causes d’une crise humanitaire. La formulation de l’amendement peut être discutée, mais elle ne sort pas du cadre légal. Elle contextualise la situation. Elle ne prend pas position dans un conflit. Elle nomme les faits.
Ce que révèle ce courrier, au fond, c’est une conception profondément politique de l’humanitaire. Pour Gilles Platret, il semble que l’aide ne soit acceptable que si elle épouse les lignes diplomatiques les plus favorables à l’État israélien. Cette vision partielle, partiale, et déconnectée du terrain entre en contradiction avec les principes fondateurs du droit humanitaire international. Elle revient à poser une conditionnalité morale à la souffrance. À décider qui mérite l’aide. À classer les victimes en catégories acceptables et inacceptables. Cette approche est une trahison des idéaux de neutralité, d’impartialité et d’universalité qui fondent l’action humanitaire depuis plus d’un siècle.
Il est urgent de résister à cette dérive. De rappeler que soigner des blessés à Gaza n’est pas un acte politique, mais un devoir éthique. Que dénoncer les conséquences d’un blocus ou de bombardements sur les civils n’est pas une prise de parti, mais une exigence de vérité. Que défendre les ONG, même quand elles dérangent, c’est protéger un espace de solidarité dans un monde de plus en plus fragmenté. Le courrier de Gilles Platret doit être lu pour ce qu’il est : une tentative de museler l’action humanitaire au nom d’un agenda politique. Il appartient aux citoyens, aux élus, aux institutions, de dire non. Non à la suspicion systématique. Non à la criminalisation de l’aide. Non à l’instrumentalisation de la diplomatie contre les droits humains.
Médecins sans Frontières, comme tant d’autres ONG, continuera à agir sur le terrain, dans les zones les plus périlleuses, souvent là où les États ne vont plus. Leur action dérange parfois, parce qu’elle montre ce que d’autres préfèrent taire. Mais c’est précisément pour cela qu’elle est nécessaire. En tentant de faire taire cette voix, on ne protège pas la France. On l’abîme.
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